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Regard de Valentine Umansky

 

La maison natale.
Les membres de l’OuLiPo, dont beaucoup sont sources de citations pour Morgane Britscher, appelaient de leurs vœux une littérature combinatoire. Il ne faut s’étonner, alors, que le travail de cette dernière ne puisse être lu de manière linéaire.

Si l’on devait en tirer quelques fils, on évoquerait les petits riens, sorte de prosaïsme ou d’ironie du quotidien. Comme dans cette série sur les Zoos, où l’œil s’arrête sur un carrelage bleu roi ornant les murs d’une cage aux lions. Un second s’enroulerait autour de la thésaurisation. L’artiste propose en effet, une véritable archéologie, déterrant pour son projet Les Prémices des amas de feuilles, des carottes de sel, des images, leur adjoignant des textes ; croquant l’intégralité des objets décrits par Pérec dans W; ou procédant à un relevé exhaustif de l’horizon de son village natal.

Britscher se mue en géologue et thésaurise des paysages qui l’ont vu naître. La topographie est omniprésente dans Rue de Mulhouse, série de dessins, pour lesquels elle trace, d’un seul trait, les lignes des bâtiments de sa rue et formalise l’espace à la manière d’un Till Roeskens qui arborerait le manteau de douceur d’une Sophie Calle.

Il y a une vraie poésie dans ses travaux. Celle du conte Schwartze Kloster, que lui racontait sa grand-mère, source d’un travail pour lequel elle photographie, au fil des saisons, un relent de nappe phréatique, trace d’un océan de sel datant du Jurassique. La tectonique du sol y entraînera l’effondrement des maisons de son enfance, elle choisit d’en photographier Les prémices, et nous rappelle un chapitre du recueil d’Yves Bonnefoy, Les Planches courbes. Britscher se reconstruit d’un lieu l’autre : du Grand Est vers la côté de Delme. Et pourtant, le sel est toujours là, son goût qui reste aux lèvres, après une journée en cale douce. Celui de l’enfance et d’un lieu qu’elle appellerait Heimat. Je l’appellerai, quant à moi, celui de la maison natale.



Valentine UMANSKY, Commissaire indépendante, Auteure et Critique.
New York, novembre 2017


 

Regard de Nathalie Filser

Morgane Britscher observe. L’artiste pense que regarder est un acte simple, aussi ce qui en découle doit l’être tout autant. Elle choisit de privilégier la photographie pour rendre compte de ce qu’elle voit en imprimant sur papier des décors quotidiens de jours ordinaires. Ses œuvres révèlent ce que nous ne voyons plus. Elle nous confronte à des images de territoires et de lieux de vie inconnus dont toute présence humaine est exclue. Cependant, toutes ses images racontent des histoires d’hommes. La simplicité des clichés pris frontalement pourrait participer à établir un inventaire, elle contribue au contraire à une narration sensible.

Le projet Les Prémices est né sur le territoire transfrontalier à proximité de Metz, là où s’entremêlent deux langues et deux cultures, deux nationalités et une histoire.

Pour garder une trace des paysages de son enfance qui se métamorphosent sous l’effet d’une faille géologique, elle débute une série de clichés. L’artiste témoigne par la photographie de cette mutation irréversible sous la puissance tellurique qui efface la trace de ses espaces familiers et les rend étrangers à son regard. Elle observe et interroge les causes de la disparition de paysages puis d’habitations qu’elle peut maintenant scientifiquement prédire. Elle observe et s’interroge sur sa perte de repères physiques, au profit de la notion d’Heimat.

Exil, la série de photographies de nids abandonnés collectés dans ce territoire lorrain autrefois recouvert d’eau salée, cristallise cette recherche vitale d’un ancrage et fait écho à une actualité universelle.

L’artiste cultive les protocoles dans la pratique photographique, en dessin, et s’amuse à proposer des œuvres que le public réalise. Ainsi Constellations est une accumulation de textes imprimés au même format évoquant la nuit, les étoiles ou les cieux : la ponctuation devient constellation sous l’effet de la perforation des signes. Morgane Britscher se joue bien de la simplicité.

Nathalie FILSER, Commissaire indépendante et Directrice de l'ESAL

Ecole Supérieure d’Art de Lorraine, Metz, janvier 2018

Regard de Celia CHARVET

Le travail de Morgane Britscher participe d’une démarche sensible, intuitive et ouverte à l’espace qui l’entoure – principalement au paysage urbain – en prenant comme point de départ l’expérience de son propre corps, de son propre regard, qui lui permettent de s’inscrire physiquement dans chacun des lieux qu’elle arpente et d’en enregistrer des signes. La vidéo, la photographie, le dessin ou la captation du son sont les outils des ces enregistrements, ils agissent comme témoins de sa présence et de sa disponibilité au monde. Au fil des mois, cette démarche s’est affinée, construite autour de cette présence et de ce désir de rendre visible non seulement ce qu’elle a vu, mais surtout le moment de cette vision ou de cette observation ; non seulement l’espace de ses déambulations mais aussi leur temporalité, bref, des moments de rencontre. En d’autres termes, sa démarche a pris forme, laissant percevoir et sentir la présence humaine sans jamais la figurer, manifestant avec une acuité poétique son rapport aux choses et aux lieux, signifiant avec simplicité la singularité de son regard pour fabriquer les traces d’un espace vécu.

Célia CHARVET, Professeur Ecole Supérieure d’Art de Lorraine, Metz, septembre 2011.

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